De bougonnage et d’état de survie!

«On existe d’abord à travers le regard des autres.» J’aime ça cette phrase-là. Elle peut tout résumer ta pensée et en même temps, t’as aussi le droit de te dire que c’est juste de la frime! Un peu comme la religion, tu crois ou tu crois pas! Le regard des autres, ces jours-ci, traverse une zone de distorsion. Après les… «pauvres vous, ça doit donc pas être drôle ce que vous vivez !», le non moins célèbre «Mégantic, tu ne seras plus jamais seule!», la pluie de dons et de millions qui inonde la ville au point qu’on sait plus qui arroser avec et qui oublier sans; après la compassion, la pitié même, ce plus pitoyable des sentiments; après le micro tendu sur le bord de la rue comme une bassine où t’es invité à vomir ton trop-plein; après les câlins, les mots d’encouragements, les applaudissements, la distribution de médailles factices qui alimentent le parterre de kodaks; après les larmes qui coulent toutes seules et que tu maudis ton impuissance à les arrêter parce qu’elles t’empêchent de travailler; après le défilé des Marie Madeleine devant les caméras de télé; ben, après tout ça et un hiver qui nous collait à la peau comme la gale sur le dos du pauvre monde, ben il y a eu l’émergence de mots durs qui ne demandaient qu’à sortir de la bouche de ceux qui, comme nous tous, sont franchement tannés d’entendre et de lire le nom de «Lac-Mégantic» sur toutes les tribunes, sur tous les écrans. Encore neuf mois après! On ne lit plus, on zappe les actualités pour les télés-réalités!

Ben oui! La vie tarde à reprendre son cours. Ici, comme population, on grandit tout croche, avec des hauts et des bas! On a nos sautes d’humeur. Prenez Jacques, l’autre jour, dans le hall d’entrée du centre sportif. Il interpelle un caméraman de Radio-Can. Journalistes, caméramans, c’est du pareil au même, qu’il pense! «Vous autres, on lâche un pet et vous accourez tout de suite!» Jacques, le sage, il me fait rire; il nous ramène tous aux vraies valeurs! Y’a pas de misère, y’a pas de problème à part ceux que l’on s’invente! La vie qui se résume à un pet échappé dans le bas de la ville!

En vérité, on a nos moments de découragement, notre sentiment que ce serait mieux d’aller voir ailleurs! Notre certitude qu’on était mieux avant! Mais l’avant n’est plus qu’une grande fresque de photos souvenirs qu’on tague sur le mur de notre page Facebook! On est peut-être juste ça, des souvenirs de cartes postales qui finiront, à nos côtés, au fond d’une boîte de métal.

Après la vague est survenue le ressac! D’abord un murmure poussé des gradins d’une patinoire ennemie. Un match de hockey, une victoire controversée: les arbitres, encore eux, auraient eu «pitié» de Mégantic et fermé les yeux sur deux buts qui auraient changé l’issue de la série Turmel-Boomerang! Nous, des bucherons, des éternels chialeux! Facebook s’est enflammé! «Gang de…» Victoire des nôtres salie jusque sur les ondes de RDS, y paraît!

Puis, André Arthur, le pro de la polémique radio, a jeté une autre pierre dans la mare. On est des bougons, y paraît! J’ai souri! Enfin quelqu’un qui n’utilise pas le vocabulaire psychosocial pour nous servir un petit coup de pied au cul! Un genre de câlin au «bas du corps»! Dans le regard du roi Arthur, les Méganticois ont l’air d’avoir rien d’autre à faire que de passer leur temps à se plaindre! Dans le regard intérieur des gens d’ici, c’est tellement pas ça! C’est tellement autre chose! Mais bon! André Arthur est intelligent. Pas un moron! Il ne joue pas dans la dentelle. Ne cherchez pas à l’attaquer sur son propre terrain, c’est perdu d’avance! Mais t’as beau être Einstein, si t’as pas les deux pieds enfoncés dans notre dépotoir bitumineux, tu peux pas savoir! Merci à lui! Sans blagues! Quand le monde se met à se serrer les coudes pour affronter un ennemi qui vient de provoquer un petit séisme dans notre vie plate de «résilients», j’aime ça! Le gars de la radio a tout faux dans son raisonnement, mais sa montée de lait a été salutaire. Il avait en plein le droit de dire tout croche ce que d’autres pensent tout croche de notre monde tout croche! De déboulonner nos statues, de dé-sanctifier nos saints! De nous rappeler qu’on est, au fond, une race de monde ben ordinaire qui a survécu à quelque chose d’extraordinaire! Des survivants plus que des héros. Et si on te donne, André, l’impression de quêter encore et encore, de quémander la charité s’il vous plaît, de crier à l’injustice chaque fois qu’un sinistré se bute à une bureaucratie sans cervelle, ben, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse? C’est juste la pointe de l’iceberg que les paquebots médiatiques finissent par apercevoir sur leurs écrans radars, alors que le monde d’ici est encore en train de ramer entre les blocs de glace qui s’y sont détachés.

Quand un entrepreneur décide tout seul, sans le Fonds de ci ni le Fonds de ça, de rebâtir sur les ruines et qu’en début de chantier, notre Hydro nationale lui envoie une «demande de dépôt» comme «nouvelle installation» de 7 100$ pour avoir droit à l’électricité, c’est ça le genre de petit bloc de glace qui risque à tout moment de faire un trou dans la coque ! Mais ça ne fera pas les manchettes. Quand un autre attend son permis depuis des mois parce que la couleur du granit ne fitte pas avec la couleur du bois, c’est comme faire du sur place dans une mer démontée,

Je voulais écrire sur les élections, avant le 7 avril. Mais pour partager quoi? Je confesse que j’ai gagé un 2$ sur l’issue du scrutin. Pour le fun. Daniel du MRG mise sur la victoire de l’un, j’ai misé sur l’autre. On a remis nos pièces entre les mains d’une personne fiable. Avec 2$ tu t’achètes un gratteux et t’es à peu près sûr de perdre. Ben là, j’ai une chance sur deux!